Le Groenland veut profit à tirer des affres du climat pour relancer son économie
Avec réchauffement climatique, le Groenland fait le pari qu’il recèlera quelques atouts en misant sur la diversification de son écosystème pour doper agriculture, pêche et exportations. Le Groenland doit trouver des ressources autres que la subvention annuelle de 3,3 milliards de couronnes danoises (près de 450 millions d’euros) venue de Copenhague pour alimenter son budget.
« Le pays a besoin de plus d’entreprises privées », souligne Jakob Janussen, un politiste qui a dirigé la Commission sur l’auto-gouvernance du Groenland. Dans une économie où le secteur public pèse pour la moitié du produit intérieur brut, et la pêche 90% des exportations, la campagne législative a permis de débattre des perspectives de diversification, vers le tourisme par exemple.
Ce territoire immense se trouve sur la ligne de front de la fonte des glaces arctiques
L’observation satellitaire montre que la calotte glaciaire (l’inlandsis), qui représente entre 6 et 7% des ressources en eau douce de la planète et recouvre quatre cinquièmes de l’île, se réduit de près de 200 km3 (200 gigatonnes) par an.
Et les glaciers, dont la disparition contribue dangereusement à la hausse du niveau des océans, ont fondu deux fois plus vite entre 2003 et 2010 que pendant tout le XXe siècle, selon des recherches européennes et canadiennes publiées par la revue scientifique Nature.
« C’est très agréable d’être en mesure d’offrir du thon et du maquereau fraîchement pêchés », se réjouit pourtant Bjørn Johansen, chef cuisinier du plus grand hôtel de la capitale Nuuk, le Hans Egede. À la belle saison, les pêcheurs remontent dans leurs filets maquereaux et thons rouges égarés près des côtes orientales de l’île, à des milliers de milles marins de la Méditerranée et du Golfe du Mexique où ils vivent d’habitude.
Le Groenland dépend pour vivre de ses exportations de crevettes et des dotations financières du Danemark
« Si les températures estivales continuent à augmenter au cours du siècle (…) il est probable que le thon rouge devienne un habitué des eaux à l’est du Groenland », avance même un professeur d’écologie marine de l’Université technologique du Danemark, Brian MacKenzie.
Désert blanc de l’Arctique et plus grande île du monde après l’Australie avec 2,2 millions de km2, le Groenland dépend pour vivre de ses exportations de crevettes et des dotations financières du Danemark, dont elle est un territoire autonome. Surnommé « l’or rose », la crevette représente 47% des exportations. La subvention annuelle de Copenhague alimente la moitié du budget du territoire. Autrefois variable, elle a un montant désormais fixe, dont la valeur s’érode avec l’inflation.
Le Groenland, aux prises avec le vieillissement et le chômage, misait sur ses richesses minérales. Seulement, la baisse des cours des matières premières a provoqué une baisse des investissements de prospection.
Une nouvelle ressource avec l’engrais de roche
À première vue, la montée du thermomètre est un facteur aggravant pour l’économie locale, menaçant la subsistance de nombreux Groenlandais au mode de vie traditionnel. Les Inuits qui se déplacent en traîneau pour pêcher ou chasser sur la glace voient les saisons raccourcir. Et le tourisme, secteur que le gouvernement souhaiterait développer, reste embryonnaire, tout en souffrant également du dégel.
Dans le fjord glacé d’Ilulissat, inscrit au patrimoine mondial, le vêlage (lorsque des blocs de glace se détachent du glacier) est parfois si important que les bateaux de croisière ont du mal à débarquer les touristes.
Mais à y regarder de plus près, il y a un profit à tirer des affres du climat.
La fonte des glaciers laisse par exemple échapper une sorte de farine rocheuse, riche en minéraux susceptibles de servir d’engrais pour les sols épuisés ou arides, en Afrique ou en Amérique du Sud par exemple. Cette substance exaspère les Groenlandais car elle obstrue les fjords. Alors « autant qu’elle aille faire le bien ailleurs dans le monde », lance Minik Rosing, professeur de géologie qui dirige le cabinet d’étude Groenland Perspective.
Le scientifique a calculé que l’expédition d’une tonne de cette « farine » n’avait pas d’incidence négative sur le climat si le trajet ne dépassait pas 12.000 km, autrement dit jusqu’au Kenya par exemple. Autre projet d’exportation: les plants de pomme de terre. Dans le sud du territoire, ils se développent plus généreusement grâce à la hausse des températures.
Les chercheurs ont pu aussi découvrir que le sol groenlandais contenait des micro-organismes protégeant les pommes de terre de champignons que combattent les agriculteurs du monde entier. Reste à essayer de reproduire ces micro-organismes.
Ils pourraient « avoir un potentiel biotechnologique immense s’ils pouvaient être synthétisés (…) ou s’ils pouvaient être utilisés à la place des pesticides », souligne le microbiologiste Peter Stougaard, de l’Université de Copenhague.
La fonte de la calotte glaciaire s’accélère
La fonte des glaciers du Groenland et ses conséquences sur la montée du niveau des océans serait plus importante qu’anticipé, les prévisions n’ayant jusqu’alors pas pris en compte l’action des lacs supraglaciaires, selon une étude britannique publiée lundi.
Précédemment, l’impact de ces lacs dans la perte de glace était considéré comme très limité. Mais cette nouvelle étude montre que de plus en plus de ces poches d’eau vont se former à l’intérieur des glaciers du Groenland au cours de la seconde moitié du siècle, altérant potentiellement l’écoulement des eaux dans les glaciers et accélérant leur fonte.
« Les lacs supraglaciaux peuvent accélérer la vitesse à laquelle les glaciers fondent et notre étude montre que d’ici 2060 leur superficie totale va doubler auGroenland« , explique Amber Leeson, de l’Université de Leeds au Royaume-Uni et l’un des auteurs de cette étude publiée dans la revue britannique Nature Climate Change.
Les lacs supraglaciaux sont plus sombres que la glace par conséquent ils absorbent davantage de chaleur du soleil, accroissant la fonte. Quand ils prennent de l’ampleur, leur eau s’infiltre dans les fractures des glaciers, atteint leur socle ce qui peut accélérer leur glissement dans les océans ainsi que leur désintégration, précisent ces glaciologues.
« Quand les glaciers sont moins épais, ils perdent de l’altitude et sont davantage exposés à des masses d’air plus chaudes ce qui accroît l’ampleur de la fonte des glaces », souligne Amber Leeson. Jusqu’à présent, ces lacs se forment à basse altitude à proximité des côtes duGroenland sur une bande d’environ cinquante kilomètres.
Les résultats de cette étude basée sur des observations de satellites de l’Agence spatiale européenne (ESA) et un modèle climatique indiquent qu’avec la montée de la température résultant du changement climatique ces lacs supraglaciaires vont se former jusqu’à 110 km à l’intérieur du Groenland d’ici 2060, doublant la superficie couverte aujourd’hui.
Ces nouveaux lacs seront situés loin des côtes par conséquent leurs eaux ne s’écouleront pas directement dans l’océan mais s’infiltreront à l’intérieur des glaciers, alimentant un réseau de canaux. Et cette eau lubrifiera davantage le socle des glaciers accélérant leur glissement vers la mer, expliquent les auteurs.
Sans prendre en compte ces lacs, les modèles prévoyaient jusqu’alors que la fonte des glaces du Groenland ferait monter le niveau des océans de la planète de 22 centimètres d’ici 2100.
Mais la contribution de l’Arctique à la montée des océans a été très sous-estimée, concluent ces chercheurs sans fournir de nouvelle estimation. « Nos conclusions contribueront à améliorer la prochaine génération de modèles informatiques qui donneront des projections plus exactes des niveaux futurs des océans ».
- Ce territoire immense se trouve sur la ligne de front de la fonte des glaces arctiques
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- Une nouvelle ressource avec l’engrais de roche
- Mais à y regarder de plus près, il y a un profit à tirer des affres du climat.
- La fonte de la calotte glaciaire s’accélère