Législatives en Birmanie : Des résultats en mesure de propulser Aung San Suu Kyi au pouvoir
Les Birmans ont participé dimanche en masse et dans le calme aux premières élections libres du pays en 25 ans, pour lesquelles l’opposante Aung San Suu Kyi est donnée favorite après des années de dissidence. Aucun résultat définitif ne sera annoncé avant plusieurs jours, dans ce pays pauvre à l’administration défaillante, sans tradition électorale.
Des millions de personnes ont patienté toute la journée devant les bureaux de vote qui ont fermé à l’heure prévue, en fin d’après-midi. La commission électorale a annoncé une participation de 80% des plus de 30 millions d’électeurs, selon les premières estimations.
Le dépouillement des bulletins battait son plein, mais les premiers résultats préliminaires ne devraient pas être annoncés avant lundi matin. « Attendez les résultats chez vous. Et quand les résultats tomberont, je veux que vous les acceptiez dans le calme », a déclaré Aung San Suu Kyi, surnommée « Mère Suu » par de nombreux Birmans, dans un message lu à la foule venue, à la nuit tombée, devant le siège de son parti.
« J’aime Mère Suu d’un amour inconditionnel…. Je resterai ici jusqu’à ce que les résultats tombent », affirme Tin Tin Oo, une militante de 44 ans, parmi les milliers de Birmans rassemblés pour célébrer la victoire. Certains se dispersant, déçus que l’opposante ne se joigne pas à la fête.
La dirigeante de l’opposition a un statut d’icône dans son pays, après avoir passé plus de 15 ans en résidence surveillée. Elle même a voté, à 70 ans, pour la deuxième fois seulement dans son propre pays. Vêtue de rouge, couleur de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), Aung San Suu Kyi a déposé son bulletin dans l’urne en début de matinée dans une école du centre de Rangoun, cernée par des médias du monde entier.
Acclamée par des partisans criant « victoire », elle s’est rendue ensuite dans sa circonscription électorale de Kawhmu, à quelques heures de Rangoun, où elle espère se faire réélire à son poste de députée, décroché lors de législatives partielles en 2012 qui avaient été un raz-de-marée pour la LND.
Loin de la cohue médiatique entourant Suu Kyi, le président Thein Sein a voté en milieu de journée à Naypyidaw, la capitale administrative, avant d’exhiber son doigt teinté d’encre – preuve de vote -, un geste devenu un symbole sur les réseaux sociaux. Son parti, l’USDP, formé d’anciens généraux, est le principal obstacle dressé sur la route de la LND.
Après la fermeture des bureaux, Alexander Graf Lambsdorff, le chef de la mission d’observateurs européens, a assuré n’avoir « pas observé de signes de fraudes ». Mais « le processus est loin d’être terminé » et tout peut arriver lors du décompte ou du transport des urnes.
Pas encore de tendance
En attendant qu’une tendance se dessine, la tension était forte, après des mises en garde des autorités selon lesquelles elles ne tolèreraient aucune imitation des révolutions de type printemps arabe.
« Il n’y a aucune raison pour nous de ne pas accepter » le résultat du scrutin, a expliqué le chef de l’armée, Min Aung Hlaing.
Lors des dernières élections nationales jugées libres, en 1990, la junte s’était laissé surprendre et avait laissé la LND participer et gagner. Mais les résultats n’avaient pas été reconnus et Aung San Suu Kyi, alors en résidence surveillée, n’avait pas pu voter. En 2010, la LND avait boycotté les élections.
Ce scrutin est donc considéré comme un test du succès éventuel de la transition démocratique amorcée il y a quatre ans, avec l’autodissolution d’une junte ayant régné d’une poigne de fer depuis 1962. Mais des nuages se sont accumulés, la LND dénonçant des irrégularités dans des villages du delta de l’Irrawaddy.
L’opposition et les observateurs avaient déjà relevé des problèmes: chaos du vote anticipé à l’étranger, impossibilité de voter pour des centaines de milliers de Rohingyas musulmans privés de papiers d’identité et annulation du vote dans des régions en proie à des conflits ethniques.
Les observateurs européens ont finalement été autorisés à entrer dans les bureaux de vote installés pour les militaires dans les casernes, au moins pour la dernière partie, le décompte.
Au total, plus de 90 partis étaient officiellement en compétition, dont certains seront clefs dans le jeu des alliances.
Au-delà des législatives, l’enjeu est l’élection du président, par le Parlement, dans quelques mois. Aung San Suu Kyi, empêchée d’accéder à la présidence par la Constitution héritée de la junte, a prévenu qu’elle « dirigerait le gouvernement » et serait « au-dessus du président » en cas de victoire de la LND.
Pour son parti, la tâche est compliquée par le fait que l’armée conserve un quart des sièges du Parlement, réservés à des militaires non élus, alliés traditionnels de l’USDP.