Streaming : La télévision en direct, nouvel eldorado des géants d’internet
Facebook, Twitter ou Yahoo! investissent de plus en plus dans la vidéo en direct, jusqu’ici négligée, et pourraient venir chasser bientôt sur les terres de la télévision traditionnelle, bouleversant un modèle économique déjà fragilisé.
Le printemps 2016 restera peut-être un tournant dans l’histoire de la télévision.
En quelques jours, le réseau social américain Facebook a dévoilé les nouvelles fonctionnalités de son service “Live”, dédié à la vidéo en direct, tandis que son concurrent Twitter annonçait un accord de diffusion de matches de la ligue de football américain NFL.
Début mars, Amazon avait lancé son premier programme en direct, une émission quotidienne sur la mode, et Yahoo! s’était entendu avec la ligue de hockey NHL pour retransmettre des rencontres en temps réel.
Avec le nouveau “Live”, les utilisateurs de Facebook pourront mieux naviguer parmi les contenus vidéos mis en ligne, y réagir et les partager plus facilement. Et Facebook a annoncé mardi de “nouveaux outils qui vont permettre aux médias d’incorporer Live à leurs programmes”.
La priorité est d’amener les internautes à utiliser davantage le réseau social, mais c’est aussi un appel du pied aux professionnels afin qu’ils renforcent leur présence en direct sur Facebook.
Une pastèque qui explose en direct
Les nouveaux acteurs de l’information sur internet l’ont bien compris. Le 8 avril, le site BuzzFeed a démontré, de la manière la plus évidente à ce jour, le potentiel du direct sur Facebook.
Plus de 730.000 internautes ont assisté, en “live”, à l’explosion d’une pastèque sous la pression de centaines d’élastiques aposés par deux journalistes du site. L’opération ne visait qu’à faire le “buzz”, mission accomplie.
Facebook voit dans son offre un complément “un angle différent” de ce que propose la télévision traditionnelle, selon Fidji Simo, une des responsables du produit Live.
Mais pour Tim Mulligan, analyste au sein du cabinet MIDiA Research, les grandes chaînes pourraient bientôt être amenées à diffuser sur Facebook du contenu jusqu’ici réservé aux canaux traditionnels.
“Nous allons rapidement atteindre le point où les gens utiliseront internet comme le moyen principal de visionner du contenu vidéo”, annonce-t-il.
La publicité en ligne suffirait-elle à soutenir un nouveau modèle économique viable pour les grandes chaînes si elles s’engageaient plus avant dans la diffusion de contenu sur les réseaux sociaux, en direct ou enregistré ?
En l’état, le direct sur Facebook ne rapporte rien aux éditeurs, même si le réseau social assure que le modèle est amené à évoluer.
“Il est difficile de dire ce qui peut prendre au-delà de la publicité, de savoir à quel point les gens veulent ce contenu et si les sociétés vont vouloir les faire payer”, reconnaît Brian Blau, analyste au sein du cabinet Gartner.
Pour Tim Mulligan, la solution pourrait passer par la création de bouquets de chaînes payants par l’un ou l’autre réseau social.
Pour défricher la jungle des offres de télévision en ligne, “il va nous falloir une sorte d’agrégateur et il est peu probable que cela vienne des acteurs actuels de la télé payante”, notamment parce qu’ils n’ont pas la couverture mondiale d’un réseau social majeur, considère Tim Mulligan.
Brian Blau prévient également que la question des revenus ne serait pas le seul sujet majeur en cas de basculement de la télévision de masse sur les réseaux sociaux.
“Il faut pouvoir encaisser des audiences très importantes. Pourrait-on voir les Oscars diffusés tout en ligne? Ca pourrait poser un défi technique”, souligne Brian Blau.
– acheter du contenu, une première –
Dans le cas du direct, Facebook et Twitter abordent aussi la question sous un angle totalement nouveau pour eux, celui de l’achat de contenu, quand ils profitaient jusqu’ici de ceux fournis gratuitement par les utilisateurs.
Twitter va payer moins de dix millions de dollars à la NFL, une bouchée de pain au regard des dizaines de milliards de dollars que dépensent les grandes chaînes pour s’assurer les droits des grandes compétitions. Mais ce contrat, tout comme celui de Yahoo! avec la NHL, est un ballon d’essai et n’est pas exclusif.
Tim Mulligan n’exclut pas que Facebook, Twitter ou Amazon se positionnent un jour comme des concurrents frontaux des grandes chaînes sur le sport en direct, mais il y voit un obstacle majeur.
“Les droits sportifs sont tellement fragmentés”, souligne-t-il. “S’ils décident de faire quelque chose de cette ampleur, je pense qu’ils voudront être sûrs d’avoir tous les droits.”
Pour un réseau social, cela reviendrait à négocier l’exclusivité mondiale pour un seul et même canal de diffusion, ce qui ne s’est encore jamais vu.