Les obstacles à une fusion entre Orange et Bouygues Telecom tendent à pousser l’Etat à s’impliquer
La réussite d’un rapprochement entre Orange et Bouygues Telecom reste suspendue à son acceptation par les autorités de la concurrence en France et à Bruxelles, un obstacle qui pourrait pousser le gouvernement à faire pression voire à prendre en main le dossier, estiment des analystes.
« Si ce n’est pas Orange, Altice (maison-mère de Numericable-SFR, NDLR) reviendra à la charge et pourrait cette fois récupérer l’opérateur, avec les conséquences sociales que cela implique, ce que l’Etat tente d’empêcher », prévient un spécialiste du secteur des télécoms, interrogé par l’AFP.
Plusieurs informations de presse, jamais franchement démenties par les intéressés, font état de négociations entre les groupes Orange et Bouygues en vue d’un rapprochement entre les deux opérateurs.
Orange absorberait son concurrent, en limitant les conséquences sociales, tout en se délestant de ce qui pourrait contrarier les Autorités de la concurrence, mais accueillerait l’actionnaire Bouygues, à hauteur de 10% du capital, selon ces informations. Pour Martin Bouygues, une telle solution offrirait l’avantage de protéger ses employés tout en gardant un pied dans les télécoms.
Le groupe « Bouygues n’est pas assez solide pour continuer tout seul mais ne veut aller ni avec Xavier Niel (patron de Free, NDLR) ni avec Patrick Drahi (propriétaire de Numericable-SFR, NDLR), et est donc plutôt favorable aux négociations en cours avec Orange », croit savoir un cadre dirigeant d’Orange, interrogé par l’AFP.
En cas de rapprochement avec Free ou Altice, les observateurs se montrent en effet plus inquiets des réductions de personnel tirées des synergies. Consultant spécialiste des télécoms, Stéphane Dubreuil estime que le gouvernement est favorable à un accord Orange/Bouygues et même qu’il « tente de tordre le bras de l’Autorité de la concurrence mais c’est loin d’être gagné. Il devra ensuite sûrement monter à Bruxelles et les compensations demandées risquent d’être énormes ».
Pour Orange, si l’intérêt d’une telle opération n’est pas forcément industriel, elle présenterait au moins l’avantage de réduire un peu la pression sur les prix alors que le marché français est l’un des plus concurrentiels d’Europe.
Interrogé par l’AFP, le PDG d’Orange, Stéphane Richard, qui n’a ni confirmé ni infirmé de telles discussions, a rappelé que son groupe « pense depuis un moment qu’il y a une certaine logique dans une consolidation en France, notamment du fait des importants investissements prévus, tant dans le fixe que le mobile ».
« Le marché peut rester concurrentiel »
Pour autant, M. Richard a estimé que « de tous les acteurs, nous sommes ceux qui avons le moins besoin de cette consolidation. Nous sommes assez détendus sur le sujet et donc assez clairs, nous ne nous impliquerons pas dans une opération qui ne sera pas créatrice de valeur et bonne pour les consommateurs ».
Un temps citée comme faisant partie de la transaction, la filiale télévision de Bouygues, Groupe TF1, n’en ferait cependant plus partie, afin d’en faciliter la finalisation. Une telle fusion est cependant encore loin d’être acquise, tant les obstacles restent nombreux, en particulier au niveau européen.
« Cela ne s’est jamais produit en Europe pour l’instant, de voir le numéro un sur un marché national racheter le numéro trois. C’est le choix le plus complexe mais le plus acceptable d’un point de vue social, ce qui dénote bien une volonté politique », a assuré M. Dubreuil.
D’autant que le futur ensemble pourrait représenter « plus de 60% de part de marché, en valeur, sur le mobile. Tant en France qu’en Europe on voit mal des Autorités de la concurrence accepter une telle position dominante », a rappelé de son côté Victor Marçais, analyste au cabinet Kurt Salmon.
Un avis que nuance cependant Sylvain Chevallier, spécialiste des télécoms et associé chez BearingPoint, pour qui « même dans cette configuration, le marché peut rester concurrentiel, ce n’est pas du tout bloquant ». « Les autorités évaluent d’autres paramètres que simplement la part de marché », a abondé Gyldas de Muizon, du cabinet de conseil Microeconomix, « elles ne s’arrêtent pas à un simple effet d’addition ».
« On constate que depuis l’arrivée de Free, qui est le principal levier de concurrence, Bouygues Telecom a mieux résisté que les autres. Un Free renforcé, avec un réseau plus étendu par exemple (que Bouygues lui retrocèderait, NDLR), pourrait maintenir la dynamique actuelle, une telle opération ne remet donc pas forcément en cause la situation de concurrence en France », a ajouté M. de Muizon.