La perspective d’un Congrès sur l’ensemble de la révision constitutionnelle voulue par François Hollande semble compromise, le Sénat s’apprêtant jeudi à modifier le volet controversé sur la déchéance de nationalité, ce qui ouvre cependant la voie à d’autres scénarios.
“On peut tout à fait imaginer d’aller à Versailles sans la déchéance. L’article 1 et la constitutionnalisation de l’état d’urgence, ce n’est pas tout à fait rien quand même”, a fait valoir un haut responsable socialiste, à l’unisson de plusieurs parlementaires de la majorité, après des semaines de déchirements et la démission de Christiane Taubira du gouvernement.
Selon ce responsable, pourrait être adjointe à ce volet sur l’état d’urgence la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), votée au Sénat en 2013 et qui doit être débattue à l’Assemblée nationale le 5 avril.
Mais le Premier ministre s’est refusé à endosser ce scénario: “cette décision d’abord ne doit pas être prise aujourd’hui” et elle “relève d’abord du président de la République”. “Mais nous sommes encore loin de cette hypothèse, moi je m’y refuse”, a-t-il assuré.
“J’espère encore convaincre le Sénat de bâtir un compromis avec l’Assemblée nationale”, a ajouté Manuel Valls, tout en reconnaissant que “nous en sommes loin”.Après le vote solennel mardi du Sénat, le chef du gouvernement prévoit une rencontre entre les présidents des deux chambres, le président de la République et lui-même.
Mercredi, le secrétaire d’État Thierry Mandon avait dit que ce serait au président de la République de voir “s’il considère que ça vaut la peine” d’organiser un Congrès et que “s’il doit y en avoir un, ce qu’il faut c’est un bref aller-retour à Versailles”.
“Ecart beaucoup trop grand”
Concernant la déchéance de nationalité pour les terroristes, les députés avaient choisi le 10 février de l’ouvrir à tous les Français pour ne pas créer de discrimination. Mais les sénateurs, bien que divisés à droite comme à gauche sur la nécessité d’une telle mesure, devraient suivre jeudi leur commission des Lois, qui a proposé que la déchéance ne puisse concerner qu’une personne “disposant d’une autre nationalité que la nationalité française”, inscrivant ainsi noir sur blanc l’interdiction de créer des apatrides.
La position entre députés et sénateurs paraît inconciliable, alors que les deux chambres doivent adopter un texte conforme pour aller au Congrès et entériner la révision. “Je crois que l’écart est beaucoup trop grand entre le texte de l’Assemblée nationale et le texte du Sénat”, a souligné Didier Guillaume, le président des sénateurs PS, estimant que si la droite ne veut “pas bouger”, “il n’y aura pas de Congrès”.
Cependant, pour son homologue Les Républicains, Bruno Retailleau, “on ne peut pas tenir le Sénat responsable des divisions de la gauche qui ont abouti à l’Assemblée nationale à dénaturer profondément le texte” du gouvernement. L’élu LR a taxé Manuel Valls de “provocation”, car selon lui en réalité, “il ne veut pas que le texte reparte à l’Assemblée”.
“A l’Assemblée nationale, nous avons cherché et construit un accord. Au Sénat, vous ne l’avez pas cherché. Avec personne”, avait accusé mercredi le Premier ministre, très remonté. Rejetant la responsabilité d’un échec probable sur la droite, il avait reproché à la commission des Lois de prendre “le contre-pied du consensus”.
Les sénateurs ont dans la matinée massivement voté en faveur de l’inscription de l’état d’urgence dans la Constitution. Ils l’ont amendé pour que les mesures sous état d’urgence soient “strictement adaptées, nécessaires et proportionnées”, ont souligné la compétence de l’autorité judiciaire, et ont réduit de quatre à trois mois le délai maximal de prorogation de l’application de ce régime.
Seuls 38 sénateurs, communistes (CRC), écologistes, six RDSE (à majorité PRG) et une centriste ont voté contre.