En effet, la réaction du pouvoir politique n’a pas tardé avec le limogeage du gouverneur de la région et la menace d’une éventuelle nationalisation des 22 centrales thermiques appartenant au secteur privé sur les 37 que compte le pays. Mais les infrastructures énergétiques du pays demeurent fragiles. Bâties essentiellement dans les années 1960 pendant la période soviétique, elles sont désormais vétustes : pannes à répétition, gaspillage colossal… Gestion privée ou publique, leur rentabilité et leur entretien demeurent un enjeu de taille pour Astana.
Pour contrecarrer la détérioration progressive du réseau, le gouvernement kazakhstanais a entrepris depuis une dizaine d’années une large politique de modernisation des installations électriques. Mais l’immensité du territoire (2,725 millions km², soit la moitié du continent européen) et la disparité de la répartition des principales villes, éloignées entre elles, compliquent et ralentissent les travaux de l’aveu même des autorités d’Astana.
En attendant une modernisation complète dans les prochaines années, deux solutions s’offrent au gouvernement de Kassym-Jomart Tokaïev : augmenter les tarifs de l’électricité ou réduire la consommation énergétique nationale. Et depuis les émeutes de janvier dernier instrumentalisées par le camp de l’ancien président et qui avaient éclaté après une hausse des prix du gaz, la première hypothèse est exclue. D’autant plus exclue qu’un secteur particulièrement consommateur d’électricité est depuis longtemps dans le collimateur des autorités kazakhstanaises : le minage des cryptomonnaies. Et après l’épisode d’Ekibastouz, les choses pourraient s’accélérer.
Les cryptos critiquées
Énergivore au point de mettre le réseau électrique sur tension, voire à alimenter des pannes à répétition dans certaine région, le secteur est en effet de plus en plus sévèrement encadré par Astana. Et c’est précisément pour ces raisons que la Chine avait déjà banni une grande partie des opérations de minage de cryptomonnaies sur son sol. Les gigantesques « fermes » d’ordinateurs, qui fonctionnent en continu, avaient trouvé refuge à partir de 2021 au Kazakhstan qui avait alors toléré sur son sol ces acteurs économiques d’un nouveau genre.
Et en quelques mois, le Kazakhstan s’est hissé parmi les plus gros producteurs mondiaux de cryptos, avec 13,22% de l’activité, derrière les États-Unis (37,84%) et la Chine (21,11%).
Mais devant le développement anarchique du secteur, et surtout, devant les menaces qu’il fait peser sur la stabilité du réseau électrique, les régulations se multiplient depuis plusieurs mois : la Majilis, chambre basse du Parlement, a adopté le 7 décembre dernier un projet de loi qui prévoit l’introduction d’un impôt pour les entreprises minant des cryptomonnaies, la détention d’une licence obligatoire et surtout, l’interdiction pour elles de se fournir en électricité sur le réseau commun en cas de pénurie et de demande trop forte.
Le pays ne compte probablement pas tourner le dos au secteur, prometteur et innovant. D’ailleurs, le gouvernement d’Astana continue de fournir un cadre légal et stable aux entreprises du secteur, pour mieux les attirer. À raison : certaines estimations tablent sur 1,5 milliard de dollars de retombées annuelles pour l’économie kazakhe. Un investissement d’avenir, mais qui pourrait bien être tempéré dans les prochaines années par l’impérieuse nécessité de juguler la consommation électrique du pays en attendant sa modernisation totale.