Entre explosion de la contrebande et interdiction des pouches, les buralistes font grise mine

Image d'illustration. Gros plan de la fumée de cigarette en volutesADN
Face à une contrebande qui bat des records et à l’annonce de l’interdiction prochaine des sachets de nicotine (ou « pouches »), les buralistes tirent la sonnette d’alarme. Déjà fragilisé par vingt ans de fermetures massives, le réseau dénonce des choix politiques jugés déconnectés du terrain, qui nourrissent les trafics et menacent directement son avenir.
Le contrebande de tabac se développe en France
Jamais la cigarette de contrebande n’a été aussi présente en France. Selon une étude KPMG publiée en juin, près d’une cigarette sur deux consommée dans l’Hexagone provient désormais du marché noir. En 2024, ce sont 24,7 milliards de cigarettes qui ont échappé au réseau officiel, soit une hausse de 13 % en un an et de 60 % en quatre ans. La France est devenue le premier consommateur européen de tabac illégal, concentrant à elle seule la moitié des volumes illicites de l’Union européenne.
Les causes de cette flambée sont bien connues. Le prix, d’abord : avec un paquet vendu en moyenne 12,50 euros, la France affiche l’un des tarifs les plus élevés au monde. De nombreux fumeurs se tournent donc vers l’étranger — Espagne, Luxembourg, Allemagne, Andorre — ou vers les réseaux clandestins. Dans les villes frontalières, il est courant de voir des consommateurs repartir avec des cartouches payées deux à trois fois moins cher qu’en métropole.
Ce marché noir représente une manne colossale pour les trafiquants. Le cabinet EY estime que la contrebande de cigarettes leur a rapporté plus de deux milliards d’euros en 2023. Pour l’État, le manque à gagner s’élève à près de dix milliards, tandis que les 40 000 buralistes français subissent de plein fouet la concurrence illicite. Près de 10 000 d’entre eux ont déjà fermé leurs portes au cours des vingt dernières années.
Des buralistes livrés à eux-mêmes
À Nîmes, la fermeture du bar-tabac « La Pipe » illustre ce déclin. Son patron, Patrick Vigneron, a dû mettre la clé sous la porte après vingt-deux ans d’activité : « Neuf clients sur dix venaient boire un café, mais achetaient leurs cigarettes ailleurs », raconte-t-il, amer. La Fédération des buralistes du Gard dénonce une situation « critique » et regrette l’absence de réponses concrètes des autorités face à la prolifération des commerces illicites.
Le constat est identique à l’échelle nationale. Les buralistes réclament des contrôles renforcés, des sanctions effectives et la fermeture administrative des points de vente illégaux. « Sans réaction rapide, c’est une partie du dynamisme commercial de la France qui disparaîtra au profit du trafic et de l’insécurité », alerte Ghislaine Mazoyer, présidente de la Fédération du Gard.
Les pouches de nicotine dans le viseur du gouvernement
Dans un contexte déjà tendu pour les buralistes, le gouvernement a franchi une nouvelle étape en publiant, le 6 septembre, un décret prévoyant l’interdiction des sachets de nicotine oraux (« pouches ») à partir de mars 2026. Apparue en France en 2022, cette alternative au tabac fumé avait rapidement séduit, notamment chez les jeunes adultes. Mais le ministère de la Santé les considère comme dangereux et addictifs, et les a classés parmi les substances vénéneuses.
Les associations de lutte contre le tabac saluent cette décision, y voyant un progrès en matière de santé publique. Elles rappellent que ces sachets peuvent provoquer des syndromes nicotiniques sévères et favoriser une initiation précoce à la dépendance.
Du côté des buralistes et des fabricants, la réaction est tout autre. « Encore une interdiction inefficace qui ne fera qu’alimenter les marchés parallèles », déplore Philippe Coy, président de la Confédération des buralistes. Dans un communiqué, l’organisation fustige « une position dogmatique » qui prive les fumeurs adultes d’alternatives encadrées et fragilise encore davantage un réseau déjà en difficulté.
Une politique jugée contre-productive
Pour les professionnels, la stratégie anti-tabac française repose trop sur les hausses de prix et les interdictions, au détriment d’une régulation pragmatique. Résultat : les trafics prospèrent, les buralistes ferment, l’État perd des milliards de recettes fiscales et la consommation de tabac reste globalement stable.
« Les interdictions créent des marchés clandestins et privent les fumeurs de produits moins nocifs, sans protéger les jeunes », estime Stéphanie Martel, directrice des affaires externes de Philip Morris France. Plusieurs pays européens encadrent déjà les pouches et les considèrent comme une alternative crédible au tabac à combustion.
En France, la tendance est inverse : après l’interdiction des puffs en février 2025, les sachets de nicotine risquent de disparaître, sans qu’aucun cadre légal n’ait été mis en place pour les réguler. Une décision qui risque d’alimenter encore davantage un marché parallèle totalement incontrôlé.
Santé publique et cohérence en question
Au-delà des enjeux économiques, la question de la santé publique reste centrale. Si l’objectif du gouvernement est de protéger les jeunes d’une nouvelle forme de dépendance, plusieurs spécialistes craignent qu’une interdiction brutale ne produise l’effet inverse. Les fumeurs adultes pourraient se tourner vers des produits illégaux, échappant à tout contrôle de qualité et à toute prévention.
Entre explosion de la contrebande et disparition des alternatives, la France se retrouve face à une impasse. Le réseau des buralistes, partenaire historique de l’État, se sent abandonné. Quant aux fumeurs, ils oscillent entre un marché officiel de plus en plus coûteux et un marché parallèle florissant. Un paradoxe qui interroge sur la cohérence et l’efficacité des politiques publiques actuelles.
