Hôpital Pompidou : La lettre adressée à Martin Hirsch
L’hôpital Pompidou a connu un véritable drame il y a quelques jours, car un cardiologue a mis fin à ses jours. L’AP-HP a précisé qu’il venait de reprendre son travail alors qu’il avait été victime de harcèlement.
La lettre adressée à Martin Hirsch:
« Monsieur le directeur général, cher Martin Hirsch,
Comme tous ceux qui connaissaient Jean-Louis Megnien, j’ai été bouleversé par son suicide. J’ai du mal à contenir ma réaction et j’éprouve le besoin de vous écrire publiquement.
Je ne méconnais pas la complexité d’un acte suicidaire sur le lieu de travail, le mélange fréquent de causes personnelles et de motifs professionnels, le degré plus ou moins élevé de fragilité de tout homme. Cependant, cela ne peut pas être un prétexte pour occulter la façon dont ce collègue a été objectivement maltraité, non seulement par certains de ses pairs, mais aussi par l’administration. Ces médecins et vos subordonnés auront à rendre des comptes. Vous aussi sans doute.
Un message prémonitoire vous avait été envoyé par un chirurgien de l’HEGP il y a plus d’un an sans que vous y répondiez. Ce mél daté du 27 novembre 2014 et intitulé « risque suicidaire » était adressé à la directrice du groupe hospitalier Pompidou, vous étant en copie, et disait ceci : « Je vous écris ce jour pour porter à votre connaissance une information que j’estime être de la plus haute importance. Vous allez recevoir aujourd’hui le Pr Jean-Louis Megnien. Sachez, Madame la Directrice, qu’il est actuellement en très grande souffrance. Vous en connaissez la cause (harcèlement moral…) mais vous en ignorez son degré d’affliction! Le Pr Megnien a une vision très noire de son avenir immédiat et à moyen terme. Il a clairement exprimé son « envie d’en finir »; il « s’est renseigné » m’a-t-il annoncé ce matin, en pleurs! Seul son amour pour sa femme et ses 5 enfants l’ont empêché de commettre l’irréparable. Prendre une décision, aujourd’hui, qui irait contre son souhait ou ses intérêts risquerait de le pousser au fond du précipice au bord duquel il se trouve actuellement. Je tenais à vous en informer. J’espère que vous saurez lui tendre la main et lui apporter tout l’aide qu’il mérite.» Il faut regretter que l’aide demandée n’ait pas été apportée.
Les luttes claniques de l’hôpital Pompidou constituent le terreau sur lequel se développe une maltraitance institutionnelle incarnée en premier lieu par la directrice du groupe hospitalier, qui a choisi son camp plutôt que de se situer au-dessus de la mêlée, comme cela eût été son rôle. Et vous l’avez confortée dans cette posture partisane, qu’elle conserve aujourd’hui encore malgré la tragédie que vit l’HEGP. Les épisodes qui ont jalonné son action pourraient faire l’objet d’un catalogue accablant. Je vous rappellerai seulement l’affaire du fichier, qui avait suscité un tollé car ce procédé est scandaleux. Vous avez à cette occasion apporté à cette directrice un soutien obstiné, alors qu’elle s’était permis de porter des jugements discriminatoires sur certains chirurgiens, se fondant sur des données d’activité fausses. On ne peut pas impunément jouer des divisions entre médecins d’un même hôpital pour asseoir sa domination, attitude détestable et dangereuse. Personne ne comprendrait que cette directrice soit maintenue à son poste après de tels événements. Il est même troublant qu’elle y soit encore.
Votre attitude et celle de votre administration dans tous ces drames n’ont rien d’original, hélas, car c’est un phénomène habituel que les personnes maltraitantes soient soutenues par leur hiérarchie et que les maltraités soient renvoyés à leur solitude et à leur désarroi. La réponse d’aller voir un psychiatre quand quelqu’un lance une alerte et fait part de sa douleur est une réponse insuffisante et peu responsable. C’est pourtant celle que vous venez de donner à l’un de nos collègues.
Ce déni à l’égard des personnes en souffrance professionnelle est quasi systématique. Je l’ai observé dans mon unité, qui a eu à une époque un cadre maltraitant, et je trouve cela profondément choquant. Dans plusieurs autres endroits de l’AP-HP, il existe une forme de maltraitance banale, tolérée et sournoise, mais ravageuse. Le devoir du directeur général est de protéger ses personnels, et sauf à vous rendre complice de cette maltraitance, il vous appartient de prendre les décisions qui s’imposent pour préserver ceux qui se plaignent d’en être les victimes. Notre institution ne prend pas les mesures appropriées dans ce domaine.
Je vous rappelle à une autre de vos obligations. Si vous avez connaissance de faits qui pourraient être qualifiés de harcèlement à l’égard de Jean-Louis Megnien, vous n’avez pas le choix : vous devez en informer le procureur de la République (article 40 du code de procédure pénale : «Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.»).
Vous aviez déclaré lors de la commission médicale d’établissement du 8 avril 2014 vouloir mettre «bon ordre» aux «spécificités désagréables» de l’HEGP. Faut-il la mort d’un homme pour que vous vous décidiez à agir convenablement ?
Avec mes sentiments de profonde affliction.
Pr B. Granger
Membre de la CME
Membre du CHSCT central »