Kazakhstan : après la présidentielle, quelle politique économique ?

Astanakuanish Sarsenov de Pixabay
Largement réélu dimanche à la présidence du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev a désormais le champ libre pour donner corps à ses nombreuses annonces politiques et institutionnelles.
Mais aussi pour acter le changement de cap économique promis au cours des derniers mois, le Kazakhstan devant sortir de sa rente pétro-gazière pour se diriger vers une économie diversifiée, misant sur le numérique et le capital humain. Une inflexion économique au moins aussi stratégique pour l’avenir du pays que le furent les récentes modifications politiques et constitutionnelles.
Sans être une surprise, la victoire est éclatante. Avec plus de 81% des suffrages exprimés, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev, a été largement réélu à la tête du pays d’Asie centrale au terme d’un scrutin anticipé qui se tenait dimanche. Opposé à cinq autres candidats, le président sortant va donc pouvoir exercer le pouvoir pendant sept nouvelles années et mettre en œuvre son programme, après une année marquée par plusieurs bouleversements majeurs dans cet immense pays, certes riche en matières premières, mais enclavé entre plusieurs pays autoritaires, au premier rang desquels la Russie de Vladimir Poutine : en janvier dernier, de violentes émeutes avaient été réprimées dans le sang, le régime devant se résoudre à demander l’aide du Kremlin pour ramener l’ordre – une aide militaire qui n’a pas empêché Astana, la capitale kazakhstanaise, de prendre ensuite ses distances avec Moscou et sa guerre en Ukraine. L’élection présidentielle de dimanche devait donc, en quelque sorte, contribuer à tourner la page d’une période mouvementée et ouvrir celle d’un nouveau chapitre politique et économique.
Un plébiscite pour l’élan réformateur du régime
Car l’enjeu de cette élection dépassait, de loin, la simple reconduction de Kassym-Jomart Tokayev à la tête du pays. Le scrutin avait, pour les autorités kazakhstanaises, valeur de test grandeur nature, alors qu’elles ont entamé depuis plusieurs mois un processus de démocratisation à marche forcée, dont l’élection de dimanche devait tout autant démontrer le bien-fondé que confirmer l’élan réformiste.
Deux vagues de réformes ont ainsi profondément remanié la vie politique et institutionnelle du Kazakhstan. Au début de l’été, un referendum constitutionnel a notamment aboli la peine de mort, interdit aux proches du président d’accaparer les plus hauts postes de l’administration ou des entreprises d’Etat, ou encore abrogé une loi datant de l’an 2000 qui accordait l’immunité perpétuelle à Nazarbayev et aux membres de son clan familial. Et, le 1er septembre dernier, Kassym-Jomart Tokayev a annoncé un nouveau train de réformes, parmi lesquelles l’instauration d’un septennat non-renouvelable, la limitation des prérogatives présidentielles ou l’accélération de la décentralisation de l’administration publique. Le chef de l’Etat avait également annoncé son intention d’avancer la date de l’élection présidentielle, qui devait initialement se tenir l’année prochaine. Le scrutin de dimanche faisait donc figure de plébiscite pour l’élan réformateur de Kassym-Jomart Tokayev mais, également, de premier rendez-vous démocratique concrétisant les annonces de l’exécutif.
La libéralisation de l’économie, l’autre changement de cap stratégique du Kazakhstan
Si la confirmation populaire de la refonte institutionnelle impulsée par Tokayev occupe très logiquement les analyses des observateurs ce lundi matin, un autre enjeu, tout aussi important, se joue en coulisse : quelle politique économique signera ce nouveau mandat ? Dans son discours à la nation de septembre, le président kazakhstanais ne s’est, en effet, pas contenté d’annoncer toute une série de bouleversements à venir dans la vie politique du pays. Tokayev a également dessiné les contours d’une nouvelle économie, visant prioritairement à sortir le Kazakhstan de sa rente en matières premières – une stratégie d’ores et déjà expérimentée, avec un certain succès, par les pétromonarchies du Golfe. Cette inflexion économique apparaît d’autant plus pressante que les exportations de pétrole et de gaz kazakhstanais ont souffert des conséquences de la guerre en Ukraine, la Russie – qui demeure par ailleurs le principal partenaire commercial d’Astana – ayant à plusieurs reprises interrompu leur acheminement par les gazoducs et oléoducs qui transitent par son territoire.
« Nous sommes bien conscients des problèmes sous-jacents de notre économie », avait ainsi reconnu Kassym-Jomart Tokayev au cours de son intervention du 1er septembre : « nous dépendons toujours des matières premières et la productivité du travail est faible, l’innovation insuffisante ». Dont acte : le nouveau cap économique d’Astana misera désormais sur l’esprit d’entreprise, le développement de la concurrence et une répartition plus équitable des richesses, en tournant le dos au capitalisme d’État et à l’interventionnisme à tout crin de l’administration dans la régulation des marchés ou des tarifs.
L’accent sera également porté sur la numérisation de l’économie : lors d’un forum tenu fin septembre, Tokayev a ainsi promis de nouvelles mesures pour le développement de l’industrie informatique, pour la modernisation des infrastructures digitales – notamment dans les zones rurales – ou encore en faveur de la formation d’ingénieurs et d’informaticiens, avec l’ouverture de plus d’une dizaine d’écoles spécialisées. L’objectif affiché par le Kazakhstan est clair : devenir une « Silicon Steppe », un hub d’innovations technologiques, aux portes de la Chine et grâce à une énergie très peu chère. L’incubateur « Astana Hub », installé en périphérie de la capitale, fait déjà partie des plus courus d’Asie.
Pour cela, le Kazakhstan peut compter sur une main-d’œuvre particulièrement bien formée en mathématiques. Un héritage soviétique, quand l’URSS formait ses meilleurs ingénieurs dans le pays, à proximité de la station de lancement spatial Baïkonour.
Autant de promesses qui, si elles doivent encore être suivies d’effets, augurent d’une libéralisation économique au moins aussi importante que la libéralisation politique à l’œuvre ces derniers mois.