L’Europe doit soutenir sa filière spatiale avec des lancements institutionnels de satellites face à la concurrence durable de l’américain SpaceX, qui a remporté un premier contrat auprès de l’armée de l’air américaine, affirme Stéphane Israël, le patron d’Arianespace.
Question: Que vous inspire ce premier contrat remporté par SpaceX auprès de l’US Air Force?
Réponse: “C’est un événement extrêmement important car pour la première fois, Arianespace va devoir durablement affronter un acteur qui a à la fois une ambition commerciale et une ambition institutionnelle, avec des lancements garantis américains nettement mieux payés que sur le marché commercial.
On voit que le prix n’est pas du tout le même pour les lancements institutionnels et les lancements commerciaux : celui (pour l’USAF) est à plus de 82 millions de dollars, alors que sur le marché commercial, il leur arrive d’être à moins de 60 millions.
Or, son ancrage institutionnel lui donne les moyens de casser les prix à l’export. Cela ne fait qu’accentuer la pression sur les Européens, car on ne pourra pas affronter dans la durée ce compétiteur (…) si nous mêmes n’avons pas une base client européenne réellement constituée.
Q: Quelle doit être la réponse de l’Europe?
R: Si l’Europe ne prend pas la mesure de tout cela, la prochaine décennie sera très difficile pour l’industrie européenne des lanceurs. Nous avons besoin de nous battre à armes égales : c’est le fameux “level playing field” sans lequel il n’y pas de compétition juste.
Il faut que dans le cadre d’Ariane 6, le donnant-donnant qui est d’un côté une industrie qui s’engage à être toujours plus compétitive, avec un lanceur 40 à 50% moins cher qu’Ariane 5, et de l’autre les États européens, l’Agence spatiale européenne (ESA), l’Union européenne s’engagent sur des lancements Ariane et Vega.
Je suis optimiste car l’ESA souhaite aller dans cette direction, et je perçois de la part des commissaires Bienkowska et Sefkovic une vraie ambition, mais il est vrai que c’est absolument clé dans notre équation.
Q: Quand serez-vous fixés?
R: Tout cela se joue cette année. Il reviendra à l’ESA de confirmer le programme Ariane 6, tandis que la stratégie spatiale de la Commission est très importante car à travers les programmes Galileo et Copernicus, l’Europe est devenue le premier client institutionnel d’Arianespace.
Donc c’est vraiment maintenant que les décisions structurantes vont être prises. Plus cette feuille de route sera ambitieuse, plus les lanceurs européens auront une base solide, ce qui est absolument indispensable face à la concurrence.
Avec ces achats européens garantis, ce n’est pas un chèque en blanc qui est fait à l’industrie des lanceurs, c’est vraiment un donnant-donnant. J’observe qu’à 70 millions d’euros, prix actuellement évoqué, Ariane 62 (version du futur lanceur à deux propulseurs, ndlr) est parfaitement compétitive par rapport au prix proposé à l’USAF.
Si l’Europe devait aussi promouvoir dans le cadre de sa stratégie spatiale des missions pour la sécurité, le post Cop 21 et la connectivité globale, on pourrait même faire davantage de lancements !”