Pour Manuel Valls Il faut comprendre la radicalisation djihadiste
Lutter contre la radicalisation, une “responsabilité majeure” pour les musulmans: le gouvernement a martelé ce message lundi lors de la deuxième “instance de dialogue avec l’islam de France”, appelant à une riposte religieuse contre le succès ravageur de la propagande jihadiste.
Quelque 150 responsables musulmans ont été invités place Beauvau
Sans contester la “légitimité” d’un Conseil français du culte musulman (CFCM) en mal d’image et de représentativité, l’État a lancé en juin 2015 une “instance de dialogue” pour élargir le débat avec “un islam de France sunnite aux multiples sensibilités et sans hiérarchie cléricale”, a souligné le Premier ministre Manuel Valls.
Pour la deuxième réunion, quatre mois après les attentats du 13 novembre, un sujet a dominé l’ordre du jour: la prévention de la radicalisation. Quelque 150 responsables musulmans, recteurs de mosquées, imams, aumôniers, militants associatifs et chercheurs ont été invités place Beauvau pour plancher sur ce phénomène “protéiforme”, selon le chef du gouvernement.
Le chantier est si “complexe” que “les sciences sociales ont bien sûr un rôle à jouer pour comprendre, analyser, décortiquer les mécanismes qui font que des individus basculent dans cette forme d’hyperviolence”, a admis Manuel Valls. Amendant ainsi son fameux “expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser”, qui avait suscité une vive polémique.
Le Premier ministre a rappelé les représentants de la deuxième religion de France à leur “responsabilité majeure”: “lutter contre la radicalisation, c’est promouvoir un islam fort, républicain et professionnel, organisé”. “Il y a plus que jamais urgence.”
En clôturant cette journée, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a souligné l’ampleur de la menaceterroriste, précisant que 606 Français sont aujourd’hui engagés dans la zone irako-syrienne, et que “près de 300” autres sont de retour en France. Cent soixante-huit Français ont perdu la vie dans les zones de jihad.
Le nombre de Français impliqués dans les filières jihadistes, en comptant “ceux qui sont en transit, ceux qui sont revenus et ceux qui ont manifesté la volonté de partir”, est aujourd’hui de 1.858, contre 555 en janvier 2014, a indiqué Bernard Cazeneuve.
“A l’évidence, la dimension religieuse de la radicalisation, si elle n’est pas le seul facteur de ce phénomène, constitue le cadre de mobilisation proposé aux jihadistes”, a-t-il ajouté.
‘Contre-discours’
D’où l’idée d’associer, “partout où cela est possible”, des “référents religieux” dans les “cellules de suivi et d’accompagnement” des jeunes radicalisés – elles sont 101 – mises en place par les préfectures. Ces cellules ont déjà pris en charge près de 1.600 personnes.
“Ce faisant”, a assuré Bernard Cazeneuve, “il ne s’agit pas pour l’État de dire quel est le +bon islam+, mais de permettre à de jeunes esprits imprégnés de la propagande de Daech (l’organisation jihadiste État islamique, NDLR) d’avoir accès (…) à une compréhension plus large des questions théologiques”.
L’exercice est délicat pour l’État qui, laïcité oblige, “ne s’occupera jamais de théologie”, a tenu à rassurer Manuel Valls. Mais les autorités civiles comme religieuses ne peuvent se satisfaire de la place hégémonique prise par les prêches fondamentalistes, voire jihadistes, en particulier surinternet.
Comment contre-attaquer? Le contre-discours “profane” de l’État sur la plateforme “Stop jihadisme” est “insuffisant”, a reconnu le directeur du Service d’information dugouvernement (SIG), Christian Gravel, ajoutant: “Il est nécessaire de produire un contre-discours à caractère religieux” contre une idéologie “qui se réfère aux textes saints”.
Présentant l’ébauche d’un “livre blanc”, le président du CFCM, Anouar Kbibech, a redit son souhait de mettre en place un “conseil religieux” chargé d’élaborer un tel contre-discours. Cette commission devra refléter “la diversité de l’islam de France”, a-t-il fait valoir. Une pierre dans le jardin des théologiens proches des Frères musulmans, qui ont créé leur propre “conseil théologique” dès le printemps2015.
Reste à savoir comment ces initiatives seront mises en musique, alors qu’une défiance subsiste dans les rangs musulmans envers le CFCM et ses conseils régionaux.
“Nous sommes disponibles pour agir sur la radicalisation, en espérant que l’État ne refasse pas l’erreur de chercher un interlocuteur exclusif et associe des acteurs de terrain”, a dit à l’AFP M’hammed Henniche, de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis (UAM 93).